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De tous ceux à qui il a été beaucoup donné, il sera beaucoup demandé ; et de celui à qui l’on a confié de hautes charges, on exigera plus que ce qui est coutumier.

Jésus.

Béatriz attendait le signal pour démarrer la conclusion de deux minutes de son Flash du Matin lorsque le commando armé de la sécurité fit irruption dans le studio en se glissant le dos au mur à partir de la porte. Ils s’arrêtèrent à la lisière des spots dont l’éclat aveuglant se réfléchissait sur les lunettes-miroirs du chef du commando. La bouche de Béatriz devint soudain sèche, sa gorge se serra. C’était à elle dans trente secondes.

Nous avons toujours l’antenne. Ils n’ont pas encore lancé leur programme de rechange.

Sa console lui montrait ce que les trois caméras voyaient, mais le moniteur au fond du studio montrait ce qui passait à l’antenne. On voyait à présent Harlan en train de débiter à toute allure le bulletin météo.

Ça ne veut rien dire. Ils peuvent très bien le court-circuiter.

Cette paranoïa nouvelle eut le don de la faire frissonner. Elle se dit que le régisseur de plateau aurait probablement averti Harlan s’ils diffusaient une bande, mais elle n’était plus sûre de rien.

Ils veulent peut-être voir jusqu’où je suis capable d’aller s’ils ne m’arrêtent pas.

Elle s’était totalement écartée du prompteur, tout à l’heure, malgré les gesticulations du directeur de production et du régisseur. Elle n’avait pas relié l’enlèvement de Crista Galli à Ben et elle avait juste annoncé sa disparition, au cours d’une mission de reportage, en même temps que celle de Rico. Les techniciens présents sur le plateau avaient manifesté des signes de surprise au moment de l’annonce. Ben et Rico jouissaient d’un grand prestige dans la profession. En fait, Rico était l’auteur de plusieurs inventions et innovations qui facilitaient le métier.

Harlan achevait la lecture des indications destinées aux marins-pêcheurs. Le compte à rebours allait bientôt commencer pour Béatriz. L’officier à la tête du commando de la sécurité s’était avancé à l’intérieur du studio et avait placé un homme derrière chacun de ses opérateurs. Elle eut le pressentiment soudain qu’aucun d’eux ne serait à bord de la navette cet après-midi.

Harlan avait terminé. Il sourit sur le moniteur et les doigts du régisseur comptèrent pour elle : trois, deux, un…

— C’était notre Flash du Matin, diffusé à partir de nos studios de la station de lancement. Le Journal du Soir vous sera présenté en direct à bord de la Station orbitale d’assemblage. Notre équipe aura le privilège d’accompagner là-bas le N.P.O., ou Noyau psycho-organique, et vous pourrez ainsi suivre avec nous toutes les étapes de la mise en place et des essais. Les autres titres qui suivront alors concerneront en particulier l’enlèvement de Crista Galli. Comme vous le savez, ses ravisseurs n’ont encore donné aucun signe de vie. Pas la moindre demande de rançon. Nous en saurons peut-être plus à dix-huit heures. En attendant, je vous souhaite une bonne journée.

Béatriz continua de sourire jusqu’à ce que le voyant rouge s’éteigne. Elle s’affala alors contre le dossier de son fauteuil avec un soupir. Autour d’elle, dans le studio, un brouhaha de questions s’éleva.

— Qu’est-il arrivé à Ben ?

— Et Rico ? Où sont-ils ?

— Est-ce que la direction est au courant de cette affaire ?

Ils se sentaient tous concernés. Elle avait prévu cette réaction. Tout Pandore allait se sentir concerné. C’était ce qui faisait la force de Béatriz. Et tandis que les lunettes-miroirs s’avançaient vers elle, elle comprit qu’il n’y avait rien qu’elles puissent faire contre elle. Même s’ils avaient diffusé un enregistrement, l’équipe technique était au courant et il n’y avait plus aucun moyen de colmater la fuite.

Lorsque l’officier de la sécurité arriva à sa hauteur, le brouhaha cessa subitement.

— Je dois vous demander de nous suivre.

C’étaient exactement les mots qu’elle redoutait d’entendre. « Vous demander de nous suivre. » Ben avait essayé de la mettre en garde contre cela depuis deux ou trois ans. Il lui avait dit, plus d’une fois : « S’ils te demandent un jour de les suivre, n’obéis pas. Tu disparaîtrais et on ne te reverrait plus jamais. Tous ceux qui t’entourent disparaîtraient aussi. Si les choses en arrivaient là, arrange-toi pour que cela se passe en public, aux yeux de tous, pour qu’ils ne puissent rien cacher au peuple. »

— Faites tourner les caméras 1, 2 et 3, annonça-t-elle. Puis elle demanda à Gus, le régisseur de plateau : Étions-nous en direct ?

— Oui, dit-il d’une voix tremblante. Il transpirait abondamment, bien que ce fût elle qui se trouvait sous les spots. Si nous avions été shuntés, j’aurais vu le signal, reprit-il. Mais je n’ai rien vu. Vous avez parlé en direct.

Que Dieu bénisse Gus ! se dit Béatriz. Elle se tourna vers l’officier de la sécurité.

— Et maintenant, capitaine… je n’ai pas très bien saisi votre nom… pouvez-vous m’expliquer ce que vous me voulez ?